Moté

La vie, c’est comme les mirabelles

La petite plante au fond du jardin


Avertissement de contenu : parle d’une relation de couple (fictionnelle) toxique et abusive, et violente.


Hélène fit mine de déballer son cadeau. Bien évidemment, elle savait déjà ce que c’était – seul le pot avait été grossièrement emballé, afin d’éviter d’abîmer le végétal. Elle sourit en remerciant Léo, et brandit la plante à bout de bras pour la montrer à Charlène et Michaël, ses amis de toujours. Plus tard, elle verserait quelques larmes en la plantant au fond de leur petit jardin, contre le mur exposé au sud-ouest. Cela faisait, longtemps, en effet, qu’il ne lui avait pas offert de signe d’affection. Ce serait également le dernier.

Elle ne connaissait pas cette espèce. Elle n’avait qu’un petit tronc avec une excroissance sur le dessus, et deux branches maigrelettes ornées d’une feuille.

Son couple continua encore de se dégrader. Léo rentrait de plus en plus tard. Les cris se firent plus fréquents. Quand ils se faisaient trop forts, Hélène s’isolait dans le jardin et arrosait sa petite plante avant de tapoter la terre. Quand les reproches se transformèrent en insultes, Hélène commença plutôt à caresser désespérément les deux feuilles. Ce n’était plus son arrosoir, mais ses larmes qui venaient humidifier l’humus.

À travers ses yeux embrouillés, elle avait parfois l’impression de distinguer un visage vaguement humain dans cette excroissance.

Hélène ne voyait plus beaucoup ses amis.

Quand les coups commencèrent, et qu’elle revint se réfugier près de sa petite plante, qui n’était plus si petite, elle n’était plus capable de seulement bouger. Elle se contenta de tomber à genoux, grimaçant et sanglotant, s’étouffant à moitié dans sa morve. Elle resta là pendant plus d’une heure.

Enfin, elle prit son courage à deux mains, s’essuya salement sur ses manches. Elle se releva et rentra à l’intérieur, abattue. Elle jeta un regard à sa grande plante. Elle avait un peu l’impression que le visage lui ressemblait.

Hélène ne voyait plus du tout ses amis.

La scène se répéta les semaines suivantes. Puis les mois.

Puis arriva la fois de trop. Pourquoi s’engueulaient-ils, elle ne s’en souvenait pas. Mais Léo avait le visage déformé par la rage. Soudainement, il se déchaîna. Ça commença par une gifle. Puis une autre. Le déluge de coups lui tomba dessus. Elle voulut sortir pour y échapper.

Un coup de poing violent, brutal. Elle entendit le craquement dans sa nuque. Elle s’effondra au sol, sur l’herbe humide de son jardin. Elle était tournée vers la porte-fenêtre, alors elle vit Léo rentré, comme s’il était satisfait de l’avoir mise au sol. Elle ne pouvait pas voir sa plante, parce qu’elle tournait le dos au mur du fond du jardin, celui qui était exposé sud-ouest. Elle n’arrivait pas à se relever. Ni même à tourner la tête.

Alors, de longs doigts verts apparurent devant elles et l’enserrèrent. Elle se sentit tirée vers le sol, dans le sol.

Un autre mouvement au-dessus d’elle, et une forme longiligne se déplaça devant. C’était vert, c’était végétal. Mais en même temps, cela ressemblait beaucoup à un pied et une jambe. Un autre pas. La plante à l’air vaguement humanoïde continua d’avancer, et pénétra à l’intérieur de la petite maison, pendant qu’Hélène s’enfonçait toujours, lentement, sans pouvoir bouger le petit doigt. Elle ne pouvait même pas cligner des yeux, seulement fixer la porte-fenêtre.

Des bruits. Des pas de course. Des objets qui se cassent. Un son, fort, violent. Un cri, bref.

La plante ressortit. Elle traînait quelque chose derrière elle, de sa main droite, et tenait une pelle dans la main gauche. Mais elle n’était déjà plus si verte, et Hélène put reconnaître, dans sa dernière vision, son propre visage qui la regardait disparaître sous terre.


Charlène et Michaël sourirent, avant de porter un toast à Hélène en criant fort. Ils ne l’avaient pas vue pendant longtemps, et ils savaient très bien qu’elle n’avait pas été heureuse. Heureusement, elle avait manifestement quitté Léo, et ils étaient très heureux de ne plus du tout entendre parler de lui. Et comme ça, du jour au lendemain, elle leur était revenue, heureuse comme elle ne l’avait pas été depuis longtemps, et elle leur avait bien fait comprendre qu’elle avait très envie de profiter de la vie.


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