Moté

La vie, c’est comme les mirabelles

Îles


C’était une vieille maison, mais bien entretenue. Faite de bois, de pierre et de paille, à l’architecture simple mais bien réalisée, avec ses quelques fenêtres et sa cheminée, une charmante bicoque. Exactement celle que l’on qualifierait de pittoresque.

Il en sortit un vieil homme, un grand-père, à la peau ridée et barbe et cheveux blancs. Il était encore robuste, et prenait soin de lui-même. Il sourit un instant et alla à son poulailler, récupérer les œufs du jour. Il re-rentra chez lui et n’en ressortit qu’après avoir pris un bon petit-déjeuner.

Il fit le tour de son potager, légumes et légumineuses se portaient bien. Il inspecta ensuite son mât, et sa voile, et ses cordages. Tout était en bon état.

Il s’installa à côté de ses poules, et mit les jambes dans le vide, au bord de son île. Sous ses pieds, la terre continuait sur quelques mètres, en forme de pyramide inversée, avant de s’arrêter un peu abruptement. Et le tout dérivait dans le ciel, doucement. Comme toutes les autres îles que l’on pouvait éventuellement croiser, mais celle-ci était la sienne.

Poussant un soupir, il finit par se relever. Son visage s’était fermé.

Il alla consulter sa carte des vents, bien à l’abri dans son salon. Il vérifia ce qu’il savait déjà, il connaissait trop bien la région. Il se dirigea ensuite vers son mat, à l’extérieur, et leva sa voile. Elle capta vite le vent et se gonfla. Il l’orienta comme il le souhaitait pour se diriger.

Son trajet se constituait d’allers-retours entre sa voile et sa carte, pour faire des corrections de trajectoire. Il étudiait également minutieusement les nuages autour de lui, pour en vérifier les trajectoires.

Il en avait, de toute façon, pour la journée.

Il finit par arriver, en début de soirée, le soleil se couchant à l’horizon. Il avait pu repérer son objectif à la longue-vue et se diriger dessus. Il réduit la voilure, et donc sa vitesse en s’approchant. C’était une île un peu plus grande que la sienne, sur laquelle se dressait une grande bâtisse. La particularité, c’était que d’autres petites îles y étaient attachées, accrochées par des cordages, et flottaient mollement à côté.

Une vielle femme aux cheveux gris l’aperçut par la fenêtre et sortit du bâtiment. Il cargua sa voile, et attendit que son île termine sur sa lancée pour les derniers mètres. Il s’approcha du bord et lança une corde épaisse que la femme attrapa adroitement. Elle l’enroula à un anneau de métal fermement ancré dans le sol, et de ses mains expertes fit rapidement un nœud solide.

Il sauta pour la rejoindre.

– Salut, Betty

– Salut Hubert. T’es venu prendre un verre ?

– Pour commencer, oui.

Ils entrèrent ensemble dans le grand bâtiment, qui se révéla être une auberge. Quelques autres personnes, propriétaires des autres îlots attachés, étaient déjà accoudées au comptoir. Hubert les rejoignit, en faisant un signe aux têtes qu’il connaissait, et Betty passa derrière pour lui servir un verre.

Ils restèrent comme ça un moment, buvant et échangeant des nouvelles, dans une ambiance doucement chaleureuse.

Lorsque la nuit se fut installée, et que les autres clients eurent quitté la salle, Betty ramena deux bols d’un potage épais. Ils mangèrent tous les deux en silence. Pas un silence oppressant, plutôt celui de deux personnes qui se connaissent bien et n’ont pas besoin de meubler la conversation.

Mais une légère tension finit par monter.

Hubert la brisa :

– Tu as une carte des vents à jour ?

Betty soupira.

– Je savais bien que tu venais pour ça. Je veux dire, j’aurais bien aimé croire que tu venais pour prendre un verre, échanger des nouvelles, et peut-être un peu de matériel. Mais non, y avait la date, de toute façon.

Il ne lui répondit que par un sourire triste.

Nouveau soupir.

– Je l’avais préparée. Je t’attendais, de toute façon. Tous les ans comme une horloge.

– Merci, Betty.

Ils se rendirent dans une arrière-salle. Une grande table de travail trônait, et étalée dessus, la carte en question. Le grand-père se pencha très vite dessus, maniant le compas. Betty resta en retrait, l’observant en faisant la moue.

– Les vents sont de plus en plus dangereux là-bas, tu sais. Je veux dire, ça l’était déjà avant, mais maintenant encore plus. Tu devrais pas y aller.

– Comme tous les ans, Betty, comme tous les ans. J’irai quand même.

Encore un soupir. C’était une habitude, quand Hubert était là.

– Je me doutais bien que tu me répondrais ça. Passe la nuit ici, au moins, avant de partir.

Il hocha la tête sans parler, toujours concentré sur la carte.

Betty s’en alla lui préparer une chambre. Il ne voulait jamais l’écouter, et elle n’arrivait jamais à lui en vouloir. Elle le comprenait, un peu, presque. Une fois qu’elle eut terminé, elle alla directement se coucher.

Au petit matin, elle se leva. Elle avait des clients à accueillir avec un solide petit-déjeuner.

Elle sortit d’abord sur sa pelouse. Hubert était là, en train de remballer ses affaires.

– Tu pourrais au moins attendre le petit-déjeuner, au lieu de partir comme un voleur.

– J’ai un vent favorable à attraper, Betty, désolé. Merci encore pour l’accueil.

– Fais attention à toi, Hubert.

Il sourit.

– Prends soin de toi, Betty.

Il partit, et on pourrait croire qu’il était heureux. Il s’éloigna rapidement, sous le regard de Betty. Son île se dirigea droit, vers un anniversaire à fêter, sur la tombe de sa fille, au cœur du dangereux nœud de vents.


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