La chanteuse


Un petit appartement gris et terne. Sur les murs, du papier peint défraîchi, décollé et déchiré dans les coins. Des meubles vieillis, et du bazar, un peu partout, mélangé à de la poussière. Et parfois, punaisée directement au mur, une affiche pour un spectacle passé d’il y a vingt ans, avec quelques bouteilles vides au sol dessous.

Et une voix, usée, rauque, graveleuse :

– Est-ce que je me souviens ? Tu me demandes ça à moi ? Bien sûr que je me souviens. La scène, la musique. La foule, les applaudissements. Et les robes qu’on m’offrait, et les regards qu’on me lançait… Je me souviens, ouais, de tout. Et de ma voix, surtout. Je sais qu’on n’entend pas sa vraie voix. Mais je sais très bien que c’est plus la même.

La femme aux cheveux gris, ratatinée, était dans son canapé décrépit. À côté se trouvait un cendrier, avec un mégot encore fumant. Une femme plus jeune se tenait adossée au mur. Elle était élégamment habillée, contrastant fortement avec l’environnement.

– Et est-ce que tu as ré-essayé ?

– Ré-essayé ? Maintenant ? Avec ma voix complètement cassée ? Qu’est-ce que tu me racontes ! J’avais une voix magnifique. Les gens prenaient le train de loin pour venir m’écouter chanter. Mais c’était avant, ça, avant que je détruise ma voix. Elle ne me sert plus à rien.

– Mais c’est ça que tu as oublié ! Ton chant, ce n’était pas seulement ta voix. C’était ton émotion, et ça, personne ne peut te l’enlever. Tu devrais chanter, à nouveau, pour toi.


Cette ennuyeuse était enfin partie. Elle l’avait connue alors qu’elle n’était encore qu’une gosse.

Mais elle ne pouvait s’empêcher de réfléchir à ce qu’elle avait dit. Parce que l’idée semblait s’être accrochée à elle et ne pas vouloir la quitter.

Alors, finalement, elle se lança. Seule, dans son appartement, en regardant le mur. Elle chanta, doucement, hésitante. Avec sa voix beaucoup trop grave, éraillée, qui avait du mal avec les notes.

Mais finalement, elle chanta parce qu’elle en avait envie. Elle chanta ce qu’elle avait vécu, le faste, les lumières. Elle chanta ce qu’elle avait perdu, comment elle s’était fait du mal, et comment se faire du mal l’avait poussée à s’en faire encore plus. Elle chanta ce qu’elle avait envie de dire.

Et, face à elle, le mur s’illumina. Elle cligna des yeux face à la violence des projecteurs, elle entendit la musique dans ses oreilles. La pièce gagna en profondeur, s’étirant dans tous les sens. Elle vit des sièges, des rangées entières. Et dessus, se trouvaient des personnes, des tas de personnes, toutes différentes. Et surtout, elle vit leurs regards, braqués sur elles, des yeux qui brillaient.

Lorsqu’elle arriva au final, elles se levèrent toutes, elles applaudirent. Des gens criaient son nom, on lui jetait des fleurs.

Les sons s’assourdirent, lentement, et la lumière décrut, lentement. Les murs se rapprochèrent.

Elle était chez elle, sur son canapé miteux.

Elle se pencha et tendit le bras. Elle se releva. Dans sa main, elle tenait une rose.


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *